Tribune de Ruffin KUBANGISA MATONDO, chercheur indépendant en droit public
Dans cette tribune, Ruffin Kubangisa Matondo démonte l’incongruité juridique de la récente prise de position de Vital Kamerhe sur la levée des immunités de Matata Ponyo. En s’appuyant sur la Constitution et la jurisprudence, l’auteur alerte sur les risques graves pour la séparation des pouvoirs en RDC.
Vingt ans après les mises en garde du professeur Evariste Boshab sur les dérives institutionnelles en République démocratique du Congo, l’actualité donne raison à ses avertissements.
Le respect du principe sacré de la séparation des pouvoirs, pourtant consacré par la Constitution congolaise, semble à nouveau malmené par les déclarations du président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe.
Le 17 avril 2025, en pleine séance plénière, celui-ci a déclaré attendre une correspondance formelle de la Cour constitutionnelle avant d’engager un processus de levée des immunités parlementaires du député Augustin Matata Ponyo, poursuivi dans le cadre du dossier du projet Bukanga-Lonzo.
Une position que je considère, en tant que juriste indépendant, comme juridiquement erronée et institutionnellement dangereuse.
1. Une entorse flagrante au principe de séparation des pouvoirs
L’article 151 de la Constitution est sans équivoque :
« Le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution. »
En demandant à la Cour constitutionnelle d’écrire à l’Assemblée nationale pour régulariser la levée des immunités, le président de la chambre basse outrepasse ses prérogatives et s’immisce dans une procédure judiciaire déjà engagée par la Cour. Une telle démarche constitue une violation manifeste de la Constitution et fragilise l’État de droit.
2. Une méconnaissance inquiétante de la procédure pénale applicable
Le cadre légal est pourtant clair.
La loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle stipule en ses articles 100 et suivants que le procureur général près cette Cour est seul compétent pour initier des poursuites contre le Premier ministre.
Dans le cas d’espèce, Matata Ponyo n’était pas député au moment de la saisine de la Cour. Dès lors, le parquet général, ayant accompli son devoir, s’est dessaisi, et la Cour a pris en charge le dossier. Il n’est plus possible, ni légal, pour la Cour de demander a posteriori une levée d’immunité.
Rappeler aujourd’hui cette question, après les élections de 2023, équivaut à un empiétement sur une procédure judiciaire en cours, ce que l’article 151 de la Constitution interdit formellement.
3. Le procès Matata Ponyo est antérieur au mandat parlementaire actuel
La procédure judiciaire contre Augustin Matata Ponyo remonte à bien avant son retour à l’Assemblée nationale. En conséquence, ses immunités parlementaires actuelles ne couvrent pas les faits pour lesquels il est poursuivi. La requête de levée d’immunité évoquée par Vital Kamerhe n’est donc ni fondée en droit ni pertinente en fait.
Le rôle de l’Assemblée nationale n’est pas de censurer la justice, mais de garantir l’équilibre institutionnel en respectant les prérogatives de chaque pouvoir.
4. Une dangereuse confusion entre débat politique et droit constitutionnel
Il est préoccupant de constater que certains responsables politiques tentent de transformer une procédure judiciaire en débat politique, alors que la Cour constitutionnelle a déjà décidé de joindre au fond les exceptions soulevées par les avocats de Matata Ponyo.
Dans une démocratie fondée sur l’État de droit, l’indépendance de la justice est une ligne rouge. L’interférence politique dans les affaires judiciaires menace la crédibilité des institutions et crée un précédent dangereux.
L’heure est à la vigilance républicaine
Comme le rappelait le professeur Evariste Boshab dès 2007,
« On ne peut que s’inquiéter lorsqu’une assemblée démocratique cherche à censurer ou influencer des décisions de justice. »
Aujourd’hui encore, ce constat demeure d’actualité.
Il est impératif que les dirigeants politiques congolais respectent scrupuleusement la Constitution et ses principes fondateurs. La justice ne saurait être instrumentalisée, ni par la majorité ni par l’opposition. C’est à ce prix que la RDC pourra avancer vers un État véritablement démocratique.
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Source: Ruffin Kubangisa, Chercheur indépendant