La Cour de Cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en RD-Congo, a repris, le lundi 16 octobre, ses activités pour l’exercice 2023-2024 à la faveur d’une audience publique et solennelle organisée en marge de la rentrée judiciaire. Cette audience a été présidée par le chef de juridiction, le Premier président Elie-Léon Ndomba, sous l’œil du ministère public, représenté par le Procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde.
Pour cette rentrée judiciaire, la première du professeur Ndomba, nommé en août dernier à la tête de la Cour de cassation, la juridiction suprême entend surmonter «les obstacles à la justice» afin de relever «le défi de la justice». Le professeur Ndomba, qui a remercié de vive voix le Président de la République, présent à cette audience solennelle tenue en la salle du Congrès du Palais du peuple, pour avoir porté le choix sur sa personne «en vue de redorer le blason longtemps terni de la justice RD-congolaise», a surtout affiché sa conviction d’être en mesure de mener la justice du pays vers des lendemains meilleurs.
«Comment comprendre que le peuple au nom duquel est rendu la justice s’en méfie? Je pense qu’il est possible de relever le défi de la crise de la justice. J’ai la conviction que ce défi n’est nullement au-dessus de notre commune volonté de restituer à la justice ses lettres de noblesse», a dit le professeur Ndomba dans son discours.
Cependant, le Premier président de la Cour de cassation a estimé que ce rêve n’est possible qu’en surmontant certains «obstacles» qui empêchent la bonne administration de la justice. Parmi ces obstacles, il a cité la corruption, l’indiscipline, le trafic d’influence, les moyens dérisoires alloués au pouvoir judiciaire mais aussi certaines dispositions légales. A chacun de ces obstacles, Elie-Léon Ndomba a puisé dans sa casquette de professeur des universités pour proposer des réponses idoines. Il a notamment appelé les différentes parties prenantes du pouvoir judiciaire à «dénoncer» les corrupteurs et/ou les corrompus devant les autorités compétentes. Toutefois, a-t-il nuancé, cette dénonciation doit obligatoirement être «soutenue par des preuves matérielles irréfutables, en mettant à profit les NTIC».
Abordant l’indiscipline du personnel judiciaire, le n°1 des juridictions de l’ordre judiciaire en RDC a regretté le non-respect des délais des prononcés avec des juges qualifiés de «congélateurs» ou encore le non-respect des heures des audiences mais aussi quelques cas de «harcèlement sexuel et comportements déviants face au sexe opposé» ou même «des relations amicales avec les musiciens, incompatibles à l’honneur», véritable soubassement du phénomène libanga. Autre mal, autre remède. Ici, le prof Ndomba a plaidé pour la réactivation des «chambres disciplinaires».
Plus des moyens pour un meilleur rendement
Devant le Chef de l’Etat, le prof. Ndomba a surtout plaidé pour l’application d’un prescrit constitutionnel: l’article 149 alinéa 5 qui dispose: «le pouvoir judiciaire dispose d’un budget élaboré par le Conseil supérieur de la magistrature et transmis au Gouvernement pour être inscrit dans le budget général de l’Etat. Le Premier Président de la Cour de cassation en est l’ordonnateur. Il est assisté par le Secrétariat permanent du Conseil supérieur de la magistrature».
Alors que le Président a rappelé récemment qu’aucun développement n’était possible sans une bonne justice, le prof Ndomba, surfant sur cette vague, a plaidé pour la mise à disposition des moyens conséquents pour atteindre ce niveau de justice voulu par tous. «Le déploiement des magistrats -sur l’étendue du territoire national, NDLR-, est tributaire des moyens financiers», a-t-il rappelé, faisant savoir que 30% d’agents judiciaires sont sous-primés et 60 autres ne sont pas encore mécanisés. Tout calcul fait, seuls 10% d’agents soit un peu moins de 1.000 sont bien traités. A côté de cela, le pouvoir judiciaire, comme les autres secteurs de la vie nationale, est victime de spoliation de son patrimoine foncier, de la carence de numérisation et du manque des matériels, informatiques, roulants…
Enfin, le prof Ndomba a appelé à la révision de certaines dispositions légales, notamment dans la Loi portant procédure devant les juridictions judiciaires et dans la Loi organique sur ces mêmes juridictions. Objectif: régler le problème des immunités de poursuite et les multiples cas de renvoi de juridiction. «1.502 requêtes ont été reçues en 2022 et 1.391 à ce jour pour 2023, la majorité est irrecevable ou non fondée», a-t-il déploré. Autant de défis tels des travaux d’Hercule pour le premier président de la Cour de cassation.
Bien avant le Premier président, le Procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, a, dans sa mercuriale, abordé la question du «trafic d’influence en droit positif congolais». Il a rappelé que la justice doit absolument «être indépendante, impartiale et équitable». Malheureusement, a-t-il poursuivi, les décisions judiciaires sont encore «exposées à des tares multiformes». «Le trafic d’influence existe. C’est l’une des pesanteurs qui tirent la justice vers le bas», a-t-il tonné avant de s’étendre sur ce fléau non encore érigé en infraction en RD-Congo.
Alors qu’il est assimilé à la corruption ou à l’escroquerie, le trafic d’influence «consiste à une pression pour obtenir une décision favorable», notamment en «promettant d’offrir ou d’accorder un avantage» à une personne afin qu’elle «abuse de son influence» pour «obtenir un avantage indu». C’est aussi, selon le PG Mvonde, le fait de «solliciter ou d’accepter directement ou indirectement un avantage indu».
Phénomène aux «conséquences néfastes», le trafic d’influence peut être «actif» ou «passif». Dans le premier cas, il consiste en une rémunération, une pression ou une promesse faite à un agent. Dans le deuxième, l’agent se laisse acheter pour user de son influence.
«De nombreuses décisions sons impactées par cette anti-valeur», a regretté le PG avant de plaider pour une révision des textes pour voir les peines réglementaires contre la corruption être étendues au trafic d’influence. «Le combat contre le trafic d’influence ne nous fait pas perdre le combat à l’interne de l’appareil judiciaire miné lui-même par des anti-valeurs», a conclu le PG Mvonde qui a également émis le vœu de voir le peuple RD-congolais «assumer sa responsabilité dans la cohésion et la paix tout au long de l’exercice démocratique» du 20 décembre prochain, date à laquelle il va élire ses dirigeants pour le prochain quinquennat.
Émettant sur la même longueur d’ondes et afin de faire rayonner davantage la justice RD-congolaise, le Bâtonnier national a fait un plaidoyer en faveur du «paiement régulier» de la «pension de retraite du magistrat». En tant que défenseur de tout le monde, y compris du magistrat, le représentant des avocats RD-congolais a rappelé que les 2.500 magistrats récemment nommés sont «animés de la volonté de gravir tous les échelons et terminer honorablement leurs carrières mais cette carrière est truffée d’embûches». Pour Me Michel Shebele, le magistrat doit «bénéficier régulièrement de sa pension de retraite mais aussi des autres avantages sociaux tels que les soins médicaux et les frais funéraires». Il a invité le gouvernement à fournir des efforts pour mettre fin au «parcours de combattant» du magistrat retraité dans la quête de son dû. «La retraite ne devrait pas être vécue comme une fatalité mais comme une simple étape de la vie du magistrat pour autant que sa pension soit régulièrement versée. Voir le magistrat retraiter vivre dignement rassurera davantage le magistrat encore en service», a-t-il fait savoir.
Ancien président de la section contentieux du Conseil d’Etat, Élie-Léon Ndomba est entré en fonction le 1er septembre 2023, en remplacement de David-Christophe Mukendi, admis à la retraite. Il est le 4ème premier président de cette juridiction suprême après Jérôme Kitoko, Dominique Ntambwe et David-Cristophe Mukendi
Née en 2013 de l’éclatement de la défunte Cour suprême de justice, la Cour de cassation est la juridiction suprême de l’ordre judiciaire en RD-Congo et coiffe toutes les cours et tribunaux judiciaires civils et militaires. Son ressort s’étend sur l’ensemble du territoire national. Il est notamment le juge naturel des politiques, à l’exception du Président de la République et du Premier ministre. Parmi ses justiciables, l’on compte les députés nationaux, les sénateurs, les ministres, les députés provinciaux, les gouverneurs, les ministres provinciaux et les présidents des Assemblées provinciales. Elle est aussi compétente pour trancher en dernier ressort les recours portant sur des arrêts rendus par des juridictions inférieures en matière civile, pénale ou commerciale.