Isidore Ndaywel è Nziem, Historien, Professeur émérite de l’Université de Kinshasa,
Membre de l’Académie Congolaise des Sciences ; de l’Académie Africaine des Sciences Religieuses, Sociales et Politiques, et de l’Académie Royale des Sciences d’Outre-Mer, a, dans un document parvenu à notre rédaction réagi à la décoration posthume après la cérémonie organisée par la chancellerie nationale. Ci-dessous, l’intégralité du témoignage
« C’est un plaisir et un honneur, pour l’historien que je suis, d’être témoin de cet événement
si grandiose, plein de couleurs, devant la grande aristocratie coutumière et la grande
aristocratie religieuse. En fait, la cérémonie de ce jour nous situe dans la longue histoire de
résistance des populations congolaises à l’occupation coloniale. Une histoire qui devrait
continuer à être explorée et exploitée par les générations montantes, afin que celles-ci en
tirent des leçons face aux défis de notre temps.
En effet, face aux méfaits et aux excès de la colonisation, les Congolais avaient opposé deux
modes de résistance. Il s’agissait, d’une part, les révoltes des populations et, d’autre part,
l’enseignement contestataire des mouvements religieux, jugés subversifs par le pouvoir
colonial. C’était donc pour punir les révoltés et les leaders messianiques, que le régime
colonial avait instauré des prisons spéciales, en plus du régime pénitencier classique. Ces
prisons politiques étaient des formes d’exil avec femmes et enfants, dans des camps de
relégation appelés en abrégé des CARD, c’est-à-dire, Centre d’Amendement pour Relégués
Dangereux.
On ne parlera pas ici du traitement infligé aux adeptes des révoltes. Signalons toutefois un
cas, lié à cette région du nord du territoire d’Idiofa. A cause du poids des corvées et autres
travaux d’imposition, il y eut soulèvement de la population. Le Chef médaillé, en charge
d’appliquer ces mesures coercitives, fut assassiné en 1922. Il s’appelait Benoît Mabera.
A la suite de cet incident malheureux, la répression fut cinglante dans toute la région. Le chef
Niang-Niang, du village d’Oveke, où ce forfait avait eu lieu, fut arrêté et transféré dans le
centre d’amendement pour relégués dangereux de Lokolama, près d’Oshwe.
A l’époque, le jeune Alaver a la vingtaine d’âge. Avait-il pris conscience que ces populations
riveraines du Bas-Kasaï ( Bangoli, Balori, Badinga), venaient de se signaler à l’autorité
coloniale comme étant des populations belliqueuses et insoumises, comme l’attestent les
rapports de la sureté coloniale ? Il allait en être victime à son tour.
Signalons que cette contrée faisait partie du territoire de Kamtsha-Lubwe créé en 1913
comme subdivision du district du Kasaï ; territoire qui, en 1932, sera intégré au district du
Kwango, pour devenir, trois ans plus tard, le territoire d’Idiofa. A la création des secteurs
en 1948, pour éviter d’autres ennuis, les Bangoli orientaux, qui dépendaient exclusivement
de leur chef à Koriama, furent subdivisés en deux : un groupe fit partie du secteur Kapia, un
autre, du secteur Bulwem.
L’action de Sanier Alaver allait s’inscrire dans le cadre de la lutte messianique. Au début du
XXè siècle, il existait déjà au Congo une extraordinaire floraison de mouvements religieux,
à peu près comme de nos jours ; mouvements nés sous forme de symbioses dynamiques entre les cultures locales et les données du christianisme naissant. De ces nombreux
mouvements, les plus en vue allaient se signaler le kimbanguisme et le kitawala. Mais, en
réalité, ils furent bien plus nombreux, tous à la base du surgissement des prophètes qui
combattaient la sorcellerie, guérissaient les malades, encadraient la population et
annonçaient la fin du règne des Blancs.
L’histoire véritable de Raphaël Alaver Saniere reste encore à écrire en détails, malgré les
premières ébauches déjà disponibles. Rien que son nom est un mystère. Voici quelques
points de repère de sa vie. Il est né entre 1898 et 1900, des parents protestants qui
fréquentaient la mission d’Iyeme, non loin d’Eshieme. Il fut, de manière incontestable, un
enfant à la fois très pieux et très doué, prêt à intérioriser les données de la modernité
ambiante. On sait qu’ il séjourna avec les siens à Port-Francqui (Ilebo), dans cette région où
proliféraient déjà plusieurs mouvements religieux, notamment celui des Bapostolo ou de
Lukoshi. Mais, il eut aussi des contacts avec les adeptes du kimbanguisme relégués à la
prison de Lokolama d’Oshwe. Car, à partir du poste de Yuki, la circulation était si fréquente
avec Oshwe, capitale de ce territoire de la province du lac Léopold II. En tout cas, le Chef
d’Oveke, qui avait été relégué dans cette prison d’Oshwe, a attesté y avoir rencontré des
adeptes du kimbanguisme.
Dans la région de Mangai, Alaver s’illustra très tôt par son enseignement, et ses délivrances
de l’emprise de la sorcellerie. Son mouvement qui, au départ, s’appelait Nzambe Malembe
se réclamait du saint-Esprit (Mpeve) qui, une fois évoqué, s’exprimait par des transes et par
la glossolalie (le parler en langue). Le centre du mouvement était le village d’Eshieme, la
Jérusalem de cette Eglise qui avait des connexions évidentes avec ce qui se passait au Kasaï,
où les adeptes étaient qualifiés de Bena Nzambi wa Malembe.
Tout cela ne fut pas pour plaire à l’administration coloniale. A la suite de nombreuses
tracasseries, l’Agent territorial, Ivan Rapp procéda à son arrestation en 1952. Il fut relégué
à Kasongo-Lunda, autre centre de relégation, et ne retrouva sa liberté qu’en 1959, dans le
cadre de l’allègement général des mesures coercitives coloniales. C’est ainsi qu’il fut de
retour dans la région de Mangai.
Contrairement à son aîné, Simon Kimbangu, Alaver a donc eu la chance de survivre au
régime de répression coloniale. Mais, un dernier incident allait intervenir au cours des
premières années de la décolonisation. Alors que son mouvement prenait son véritable
envol, il fut à nouveau l’objet de restriction au motif d’être réfractaire aux injonctions de
l’administration. Les adeptes du mouvement s’étaient, en effet, permis, peu avant, de
molester quelques policiers. A la suite de cette bavure, le nouvel administrateur du
territoire d’Idiofa, monsieur Mayilamene, prit l’option étonnamment radicale d’interdire le
culte d’Eshieme. Il dépêcha un peloton de militaires sur les lieux pour s’assurer de
l’effectivité de cette mesure. Naturellement, celle-ci ne fut pas respectée. Le 5 avril 1962,
une foule nombreuse s’y regroupa pour la prière. Les militaires incendièrent l’église et
tirèrent sur les fuyards. Il y eut des centaines de victimes ; on dénombra 180 corps calcinés.
Le prophète fut à nouveau arrêté, transféré et condamné à Kinshasa. Il s’éteignit le 17 mai
1964.
L’Eglise d’Alaver, enfin reconnue par l’Etat, a connu depuis lors, comme on le constate, une
expansion fulgurante. La grande mobilisation de ce jour en est une parfaite illustration.
Evoquer la mémoire de Saniere Alaver, s’est, naturellement, lui rendre hommage et
célebrer son élévation en tant que patrimoine national. C’est surtout l’opportunité de
célébrer, à travers lui, les multiples acteurs de la résistance messianique, effacés de la
mémoire collective, qui ont défié le pouvoir colonial, comme Simon-Pierre Mpadi de
« l’Eglise des Noirs en Afrique » ou la prophétesse Marie Nkoy chez les Ekonda et, tant
d’autres encore.
Il nous faut cultiver la mémoire, car la mémoire c’est l’avenir du passé. Or, rien n’est plus
important que l’avenir. car l’avenir est à venir.
Merci donc, au Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo d’y avoir pensé et d’avoir
accordé cette distinction honorifique. Merci au général Chancelier des Ordres Nationaux
d’avoir bien voulu organiser cette cérémonie dans ce cadre si grandiose du Musée de
Kinshasa. Merci à l’honorable Dhedhe Mupasa d’avoir pris cette belle initiative qui a permis
d’exhumer du passé une mémoire aussi prestigieuse que celle de cet acteur historique
qu’est Raphaël Saniere Alaver.
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