Interview exclusive réalisée par Stany Bujakira pour Jeune Afrique
À l’heure où l’Est de la RDC est ravagé par les violences, les chefs religieux congolais poursuivent une tournée diplomatique internationale pour promouvoir un Pacte Social pour la Paix et le Bien-Vivre Ensemble. Mgr Fulgence Muteba, président de la CENCO, revient sur cette initiative, sa portée, ses objectifs et les critiques auxquelles elle fait face.
Jeune Afrique : Monseigneur, comment se déroule votre tournée aux États-Unis ?
Mgr Fulgence Muteba : « Très bien. Les personnalités que nous avons rencontrées, notamment le Secrétaire général des Nations unies, se sont montrées très attentives à notre démarche. Nous avons également échangé avec des membres du Congrès américain, des représentants du Département d’État, et des responsables d’organisations engagées auprès de la RDC. Même à l’Université George-Washington, nous avons eu l’occasion de présenter notre projet de paix. Si la situation sur le terrain se stabilise, de grandes avancées sont possibles ».
Quelle est la philosophie de votre démarche ?
Mgr Fulgence Muteba : « Nous sommes convaincus qu’une paix durable ne peut être construite que sur une base solide de dialogue – un dialogue sincère entre Congolais, mais aussi entre la RDC et ses voisins. Cela suppose de mettre de côté les questions qui alimentent les conflits depuis plus de trente ans ».
Et que pensez-vous des consultations lancées par le Président Félix Tshisekedi via son conseiller spécial en matière de sécurité
Mgr Fulgence Muteba : « Nous ne sommes pas contre cette initiative. Mais nous estimons que la crise est beaucoup plus profonde et qu’un gouvernement d’union nationale, à lui seul, ne saurait tout résoudre. D’où notre plaidoyer pour une approche globale et inclusive ».
Votre tournée a été longue : l’Est de la RDC, le Rwanda, l’Angola, le Kenya, l’Europe… N’est-ce pas trop ?
Mgr Fulgence Muteba : « Non, c’est une initiative mûrement réfléchie. Il faut écouter tous les partenaires, internes comme externes, pour obtenir un consensus solide. Cela prend du temps, mais c’est nécessaire ».
Qui souhaitez-vous encore rencontrer ?
Mgr Fulgence Muteba : « Nous envisageons de nous rendre en Afrique australe. Il est capital d’obtenir des garanties de la part de la SADC, afin de résoudre certains blocages ».
À Kinshasa, certains responsables voient votre démarche d’un mauvais œil. Cela ne risque-t-il pas d’entraver votre mission ?
Mgr Fulgence Muteba : « Nous nous en tenons aux propos du Président Tshisekedi lui-même, qui nous a dit que notre initiative était louable. Quant à ceux qui nous accusent de collusion avec des ennemis de la République, ce sont des allégations sans fondement. Beaucoup de ceux qui critiquent notre démarche n’ont même pas pris le temps de lire notre feuille de route. Qu’ils le fassent, et ils constateront qu’aucune de ces accusations ne tient »
On évoque même des enregistrements audio impliquant les religieux…
Mgr Fulgence Muteba : « Le Congo est accablé par des crises multiples depuis des décennies. Aujourd’hui, il est presque paralysé. Pour sortir de cette impasse, il faut impérativement dialoguer. Cela implique nécessairement des contacts. Et puis, le Président Tshisekedi n’a-t-il pas lui-même rencontré le Président Kagame à Doha ? Des discussions directes avec le M23 n’ont-elles pas été envisagées ? Alors que nous reproche-t-on »?
Face aux médiations de Luanda, de Nairobi, ou même du Qatar, votre initiative est-elle encore pertinente ?
Mgr Fulgence Muteba : « Absolument. Notre processus est complémentaire de ceux de Luanda et de Nairobi. Il ne les contredit en rien. Quant à la médiation du Qatar, elle a au moins permis aux acteurs de se parler. Ce qui compte aujourd’hui, c’est de trouver des solutions durables. Nous ne sommes pas là pour attaquer un régime, mais pour empêcher l’effondrement du pays. Ce n’est un secret pour personne : la RDC est dans une situation catastrophique ».
La souveraineté du pays est mise à mal, une partie du territoire est occupée. Quel est votre message à ce sujet ?
Mgr Fulgence Muteba : « Il n’est pas normal qu’une armée étrangère vienne s’installer sur notre sol, que des milices occupent des zones entières du territoire national. Le niveau de vie de nos populations est indigne. Cela doit cesser ».
Certains leaders de l’opposition estiment que le Président Tshisekedi n’est plus à la hauteur. Quelle est votre position ?
Mgr Fulgence Muteba : « Je ne parlerai pas d’individus. Ce qui m’importe, ce sont les Congolais, leur aspiration à vivre dans la dignité, à vivre ensemble en paix ».
Certains disent que vous travaillez à faire partir le Président Tshisekedi…
Mgr Fulgence Muteba : « Nous ne travaillons au départ de personne, pas plus que nous ne faisons campagne pour l’arrivée de quiconque. Le Pacte Social que nous proposons n’a pas cette vocation-là. Relisez notre feuille de route : nulle part nous ne formulons un tel objectif ».
Et si, demain, le Président Tshisekedi retirait son soutien à votre initiative ?
Mgr Fulgence Muteba : « Nous consulterons alors nos pairs : les évêques de la CENCO et les pasteurs de l’ECC. Ensemble, nous trouverons la voie à suivre ».
Votre tournée demande des moyens importants. Qui finance ?
Mgr Fulgence Muteba : « Ne sous-estimez pas l’Église catholique et l’ECC. Ce sont des institutions solides, qui fonctionnent, et qui savent mobiliser leurs ressources. Certains États amis ont aussi contribué : l’Angola, le Kenya, l’Ouganda, et même le Rwanda ».
Même le Rwanda, souvent pointé du doigt pour son soutien présumé au M23 ?
Mgr Fulgence Muteba : « Le Rwanda a estimé que notre initiative allait dans le bon sens. Nous sommes des pasteurs, nous cherchons des solutions. Nous ne jugeons pas les intentions, nous nous concentrons sur les issues possibles pour la paix ».
En résumé, quel est le message que vous adressez au peuple congolais et à ses dirigeants ?
Mgr Fulgence Muteba : « Il est temps d’arrêter la guerre. Maintenant. Et de tout mettre en œuvre — toutes affaires cessantes — pour construire le Congo que nous voulons, dans une région des Grands Lacs où règnent la paix et le bien-vivre ensemble »’.
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Tiré de Jeune Afrique